Coopération scientifique sur mesure grâce à Crisalidh : L'exemple de Ludosens
Accompagnée par l'incubateur ATIS, l'association Ludosens a pris contact avec l'université de Bordeaux (UB) dès l'été 2015, animée du souhait de "mettre en place une évaluation rigoureuse en termes d'impact social" de son projet.
Ludosens a été créé par des parents d'enfants manifestant des difficultés scolaires ou souffrant de troubles comportementaux ou cognitifs (hypersensibilité, troubles "dys" ou du spectre autistique...). Cette association se définit comme un réseau social dont les "usager·ère·s échangent, achètent, vendent[...] à prix d'occasion" des jeux à fort potentiel éducatif. Mais son ambition est aussi de permettre aux familles d'échanger des conseils, partager des expériences entre elles ainsi qu'"avec des profesionnel.le.s de la rééducation autour de l'expertise du jeu", autrement dit de "décloisonner" les approches et vécus afin d'aider ces enfants à "mieux grandir".
Orientée en septembre 2015 vers Crisalidh qui venait tout juste de lancer sa démarche, Priscilla Laulan-Carret, co-fondatrice de l'association, a participé au séminaire d'échanges entre chercheur·e·s et acteur·rice·s organisé par Crisalidh en janvier 2016. Elle y a découvert les travaux sur le jeu d'Eric Dugas, professeur en Sciences de l'éducation à l'université de Bordeaux - ESPE d'Aquitaine, Laboratoire Cultures, Education et Sociétés (LACES). De leurs discussions est née l'idée d'une coopération qui a permis à Priscilla et Aurore Louit (une autre animatrice du projet Ludosens) de participer à deux séances du séminaire sur le jeu en situation d'apprentissage, proposé par Eric Dugas et Bénédicte Courty aux étudiant·e·s de M1 et M2 de l'ESPE.
Comment vivez-vous cette coopération encore naissante avec des chercheur·e·s ? Qu’apporte-t-elle à Ludosens ?
C’est intéressant d’avoir le regard des chercheur·e·s et c’est intéressant de manière très concrète parce qu’on a besoin de formaliser une communauté du corps professoral – comme ici avec de futurs professeur·e·s des écoles, mais c’est valable quels que soient les niveaux – autour de ce qu’on propose, pour avoir des personnes qui ont envie d’évaluer, qui ont envie d’expérimenter et de donner un retour. C’est une coopération très concrète qui correspondait à nos besoins.
On avait aussi parlé d’une approche plus sociale, plus globale, mais pour l’instant c’est compliqué, parce que nous sommes dans une temporalité d’urgence. Nous sommes à la recherche d’un modèle économique qui fonctionne, c’est le propre de l’entrepreneuriat. Et donc pour le moment, je vois moins le travail d’un sociologue parce qu’on ne sort pas encore la tête de l’eau. En revanche, avec ces étudiant·e·s de Master 1 et 2, c’est très intéressant parce que ça colle à notre envie d’évaluer des solutions nouvelles.
Vous êtes donc au stade de bien identifier ce que vous apportez de spécifique afin de pouvoir définir comment le valoriser dans un contexte économique ?
Voilà, c’est ça. Je trouve très intéressant qu’il y ait cette démarche de vouloir relier recherche et entrepreneuriat social, parce que c’est quelque chose qui vient évaluer, valider des solutions qui sont imaginées et cette caution scientifique est précieuse.
Même s’il n’y a pas de thèse ou de mémoire, c’est quand même intéressant d’avoir le regard de professeur·e·s. Par exemple, le fait que M. Dugas nous ait donné son retour sur les compétences associées aux jeux et sur les catégories que nous avons définies, le fait d’en avoir discuté avec lui, nourrit la réflexion de l’association.
Ces passerelles sont de toutes façons très intéressantes, y compris pour la recherche : ce sont deux mondes tellement différents qu’ils ont tout bénéfice à collaborer. L’entrepreneur social a tellement l’habitude d’être dans l’urgence, le nez dans le guidon, de parer au plus pressé, que la réflexion c’est du luxe. Il y a donc un moment où l’action prend le pas sur la réflexion, c’est pourquoi c’est bien d’avoir de temps en temps des regards distanciés sur ce qu’on fait. J’ai trouvé extrêmement pertinent qu’il y ait ce séminaire de proposé.
Est-ce que la dimension territoriale vous semble présente, voire prégnante, dans votre projet dont le support est une plateforme d’échange en ligne via internet ?
Oui, c’est une dimension qu’on a développée très récemment, depuis février/mars 2016, parce qu’il y a avait une attente des financeurs pour qui notre projet paraissait trop « hors-sol » justement, mais aussi parce que ça nous semblait pertinent en ce sens que le terrain nourrit internet et qu’internet nourrit le terrain. Le fait qu’il y ait deux offres de service, et relier les deux, pour nous, l’équipe, ça avait du sens. Et il y a un terreau favorable dans le territoire d’Aquitaine.
Justement, pour Ludosens, le territoire, c’est quel périmètre ?
Dans l’immédiat, c’est Gironde et Dordogne, mais peut-être qu’il s’étendra, pour les actions terrain.
Qu’entendez-vous par « actions terrain » ?
C’est le prêt de mallettes de jeux ou bien l’animation d’ateliers qui ont plusieurs objectifs. Il y a les ateliers « Ludopartage » qui sont plutôt axés sur les émotions, sur l’éveil sensoriel et qui correspondent à deux tranches d’âge : 18 mois-4 ans et 4-7 ans. Ils répondent à une demande d’assistant·e·s maternel·le·s ou de parents qui souhaitent des ateliers qualitatifs. Là c’est plutôt grand public. On a aussi développé des ateliers appelés Ludoapprentissage qui sont vraiment sur « comment le jeu permet de renforcer des compétences scolaires » et là on propose une sélection de jeux qui sont présentés et mis en pratique dans l’atelier pour sensibiliser au fait que jouer c’est du plaisir, ça permet à l’enfant de se détendre, de trouver de la complicité avec son parent, mais aussi de travailler des choses qui sont laborieuses sur des supports traditionnels. Donc ça peut être des jeux de type structuration de l’espace, organisation de la pensée logique (4-7 ans), « pré-maths » ou apprentissage des maths et de la lecture, soit on est sur des jeux plus élaborés qui peuvent permettre d’entrer dans le monde des fractions, les tables de multiplication mais de manière vraiment ludique. Et on propose aussi des ateliers « mémoire » où il s’agit de mémoriser les concepts de manière ludique également. C’est donc à la fois grand public pour des enfants qui vont avoir entre 7 et 11 ans mais aussi des collégiens qui vont avoir entre 11 et 15 ans, ça peut être pour des parents qui vont être sensibilisés aux démarches alternatives, aux démarches innovantes, mais tout simplement, il y a un constat de difficultés et les parents souhaitent expérimenter des choses différentes. Là on est au contact avec une communauté réelle, avec des difficultés, des besoins et donc des attentes auxquelles on va essayer de répondre en apportant des matériels qu’on créé, mais toujours dans une optique d’économie circulaire, et de donner une seconde vie aux jeux, qu’ils soient moins chers et que tout le monde puisse y accéder. À l’issue de certains ateliers, les parents pourront acheter des jeux d’occasion, donc s’ils les ont expérimentés pendant l’atelier, que ça leur a plu et qu’ils trouvent ça intéressants, ils pourront le remporter chez eux, et donc du coups, quand on parlait de coéducation tout à l’heure, c’est quelque chose de concret, parce qu'une fois avoir fait la mise en pratique avec les parents, il y a une continuation possible à la maison.
Le territoire constitue l’espace dans lequel l’échange peut s’organiser, à partir d’expériences qui y sont vécues ensemble. C’est donc déjà une tentative de décloisonnement des acteurs et actrices à l’échelle de cet espace. Est-ce que vous sentez des différences entre la manière dont les choses se mettent en place entre la Dordogne et la Gironde, entre le territoire très urbain de la métropole et des territoires très ruraux comme ceux de la Dordogne ?
Non, c’est trop tôt. La seule chose que je peux vous dire, c’est qu’en Dordogne, ce n’est pas du tout le même département. Il y a de grandes distances en termes de transport, l’accès aux jeux y est encore plus difficile, alors que sur Bordeaux les gens peuvent plus facilement y avoir accès. On peut faire l’hypothèse que les bordelais·es vont être plus sensibilisé·e·s et auront plus envie d’aller vers les jeux qu’on propose.
Est-ce que ce sont les mêmes réseaux d’acteur·rice·s qui sont mobilisés sur les différents territoires où vous intervenez ?
Non, pas tout à fait. C’est compliqué de répondre à cette question, et c’est trop tôt.
Votre question initiale portait sur la valeur ajoutée globale de Ludosens, en termes d’impact social. Est-ce que ça ne nécessiterait pas justement de prendre le temps de repérer les systèmes d’acteurs et d'actrices qui sont en jeu en fonction des territoires ?
Oui, mais je dirai que c’est trop tôt, encore une fois, que cette question initiale n’est peut-être plus la bonne aujourd’hui, parce que nous, nous sommes dans une temporalité extrêmement rapide, et que donc, on va plus viser à développer des activités rémunératrices qui ont effectivement un sens parce qu’elles répondent à un besoin social, mais rémunératrices et donc efficaces, qui vont toucher un public qui a des besoins, qui est présent, qui a envie, les acteur·rice·s peut-être les plus réactifs. On est dans des réalités d’entrepreneuriat, donc on ne va pas avoir le temps, et peut-être que ma demande initiale était trop généraliste. Elle n’est plus la même aujourd’hui. Alors peut-être que ça reviendra plus tard, mais pas à l’heure actuelle.